Déco : la couleur a-t-elle disparu de nos intérieurs ?
Lorsqu’on pense aux maisons et appartements des années 60 et 70, on a tout de suite en tête des intérieurs ultra pop et colorés. Si la couleur reviendrait peu à peu en tendance à en croire les magazines de déco, combien d’entre nous ont aujourd’hui des intérieurs vraiment très colorés ? Pourquoi, et depuis quand la couleur a-t-elle disparu de nos intérieurs ? Aura-t-on tous bientôt une maison monacale comme celle qu’occupaient Kim Kardashian et Kanye West, paroxysme de la non-couleur ?
Comment la couleur a peu à peu disparu de notre quotidien
A en croire un (passionnant) reportage de France Culture sur le sujet, cette disparition progressive de la couleur serait bien réelle. Des chercheurs britanniques ont mené une étude sur des objets du quotidien exposés dans des musées, représentatifs de plusieurs époques. Ils les ont pris chacun en photo, avant de comparer les pixels. Les pixels noirs, blancs ou gris représentaient 15% environ des couleurs début 1800. Aujourd’hui ? Près de la moitié.
Et on observe des tendances similaires dans bien d’autres champs, comme l’art, le cinéma, la mode (cf Jean-Paul Gaultier ou la petite robe noire de Coco Chanel, devenue symbole d’élégance et sobriété)…
L’influence du Bauhaus et la parenthèse des Trente Glorieuses
La couleur aurait disparu au début du XXème siècle, dès les années folles. En matière d’architecture et décoration, l’école du Bauhaus, très influente à son époque, fera la part-belle aux « non-couleurs » comme le béton gris. Des figures comme Le Corbusier ou Theo van Doesburg se rangent de son côté – même si Le Corbusier changera largement d’avis par la suite, allant jusqu’à repeindre des intérieurs minimalistes avec de grandes fresques colorées.
La couleur revient ensuite durant les Trente Glorieuses, dès les années 60. vers les années 80, zou, la couleur disparaît à nouveau. Il est amusant de comparer les catalogues Ikea de l’époque. Dès la fin des années 70, on passe d’un catalogue ultra-coloré à des tons neutres et des intérieurs minimalistes avec des cuirs foncés, des pieds métalliques gris, etc. Les murs passent quant à eux des motifs verts et oranges au blanc.
Le manque de couleur en déco : un effet de la standardisation ?
La première cause est un effet de standardisation global. On entre dans une société de consommation, où les marques veulent plaire au plus grand nombre, s’assurer de créer des produits grand public.
On le constate par exemple dans le secteur de l’automobile. Trois voitures sur quatre vendues sont noires, blanches ou grises. En 1952, trois voitures sur quatre étaient rouges, vertes ou bleues. Fait amusant : comme les couleurs neutres sont considérées comme plus faciles à revendre, les assurances coûtent moins cher pour une voiture blanche par exemple.
En matière de design et décoration, quelques groupes comme le groupe de Memphis tentent de renverser les codes et d’imposer motifs et couleurs, mais cela ne dure qu’un temps, avant que le minimalisme pratique (qui comporte aussi bien des avantages, ne le nions pas…) ne s’impose à nouveau. Il faut pouvoir produire pour des espaces d’habitation de plus en plus exigus, surtout en ville, donc faire des meubles pratiques, relativement peu chers et qui puissent se vendre en masse.
Lire aussi : Le Memphis Design, ou comment un groupe de designers s’est affranchi des codes
En déco, la couleur est-elle synonyme de faute de goût ?
Comme l’expliquait à France Culture le designer Gabriel Causse, auteur de l’ouvrage Les couleurs invisibles, c’est aussi une question de confort. « Quand on ouvre son placard le matin, on s’habille en beige, en bleu marine, en écru : on sait qu’on ne fera pas de faute de goût« . On pense immédiatement à Mark Zuckerberg et ses t-shirts gris, qu’il possède en plusieurs exemplaires. Il porte toujours le même uniforme au quotidien pour s’éviter, explique-t-il, une « fatigue décisionnelle » supplémentaire.
Dans nos intérieurs, on peut facilement retrouver cette idée. Il est plus difficile de mélanger différentes couleurs, de bien les associer sans faute de goût. Comme notre appartement ou notre maison est pour beaucoup un reflet de nous-mêmes, on privilégie souvent la sobriété, histoire de ne pas se planter.
Dans un essai sur le sujet, l’artiste David Batchelor nomme cette peur de la couleur « Chromophobie ». Cette idée lui est venue dans les années 90. Habitué au noir et blanc, il décide sur un coup de tête de peindre son studio en rose. Et il adore. Il finit par analyser « la peur de la couleur en Occident« , raconter comment elle est devenue vulgaire, peu raffinée, comment nous avons appris à nous en méfier plutôt qu’à l’apprécier, la juger « enfantine » plutôt qu’adulte.
Se ré-habituer à la couleur en déco ?
Gabriel Causse parle également d’une question d’habitude. « Moins il y a de couleur autour de nous, moins on a envie d’en porter », estime-t-il. Et c’est sans doute bien vrai. Essayez d’avoir une déco minimaliste tout en nuances de noir et blanc, et tout à coup d’y ajouter un fauteuil rose fuschia. Le choc visuel risque d’être important… Alors on préfère s’en tenir à terme à ce que l’on faisait : des couleurs neutres.
Il faudrait commencer, pour ré-introduire la couleur, par de petites touches progressives. Un poster au mur, un vase, une petite déco… Comme pour mieux sortir de la sobriété et se sevrer de l’épuré. Alors, prêts à faire entrer un peu de couleur dans vos vies ?